Tout, dans le monde, nous rappelle chaque jour l’ampleur de la violence. Contre les homosexuels, les femmes, les enfants, les musulmans, les chrétiens, les juifs, les ­policiers, les manifestants, les grévistes… Plus insidieusement, elle se manifeste aussi dans les transports en commun, entre automobilistes, entre voisins, dans les relations de travail, à l’intérieur des familles. Comme si on se supportait de moins en moins. Comme si tout prétexte était bon, désormais, pour en découdre avec son prochain.

Cela peut sembler étrange, en particulier dans les pays les plus développés ; tout, de fait, y est en place pour qu’il y ait au contraire moins d’agressivité : nul, ou presque, n’y manque plus de l’essentiel ; nous y vivons dans un État de droit dans lequel la violence est interdite par la loi et la non-violence enseignée à l’école ; nous y bénéficions d’une liberté sexuelle qui devrait permettre de soulager bien des pulsions et d’une liberté politique qui vise à rendre inutile toute révolution. De fait, ceci a très bien fonctionné : toutes les statistiques nous disent qu’en Occident, ces cinquante dernières années, la situation est meilleure que dans les siècles antérieurs.

Mais la violence est de retour. Plus personne ne supporte personne. Tout redevient prétexte pour se battre, s’entre-tuer. Et les événements des jours derniers en apportent des preuves tragiques.

Mille explications sont possibles. Une des plus convaincantes est sans doute la difficulté pour l’homme de vivre durablement dans une société ­policée, urbaine, en étant encagé, entassé, prisonnier, comme ses congénères, de règles, de conventions, de réseaux. Dans un tel univers, où la transparence exacerbe la compétition, le désir et la jalousie, la violence s’accumule et finit par exploser, comme un arc bandé envoie sa flèche. Une des plus pessimistes affirme que l’homme a besoin de jouir du mal qu’il fait aux autres pour se prouver à lui-même qu’il est vivant, pour contenir sa propre haine de soi.

Selon toutes ces analyses, les tragédies qu’a connues l’Europe dans la première moitié du XXe siècle peuvent être vues comme une purge, ­faisant suite à la longue période de paix du XIXe siècle.

Aujourd’hui, après soixante-dix ans de paix en ­Occident, nous voulons en découdre, dans des guerres, civiles ou non, pour évacuer de nouveau une énergie accumulée. Et cette fois avec d’autres moyens, qui feront des centaines de millions de morts.

On peut encore l’éviter. Soit en désignant des boucs émissaires, aisément choisis parmi ceux qui sont différents ; et on le voit clairement s’annoncer, avec le populisme, qui dénonce l’étranger comme l’ennemi à chasser ou à éliminer. En espérant une fois de plus canaliser notre agressivité dans la mort d’une victime expiatoire. Soit en passant à une étape supérieure de l’humanité et en comprenant que nous jouirions davantage du bonheur de l’autre que de sa mort. C’est ce que nous disent tant les neurosciences les plus récentes que les technologies de l’économie collaborative, ou que toutes les grandes philosophies laïques ou religieuses qui font de l’amour de l’autre la clef de son propre bonheur.

Au moment où le pire s’annonce, où la violence revient à grands pas, il ne nous reste que la pensée, et le sourire, pour tenter de nous convaincre que nous ne sommes pas condamnés à revivre la barbarie de nos ancêtres, que l’humanité peut se ­dépasser sans se détruire, que l’avenir peut être autre chose que la démesure du passé.

Plus personne ne supporte plus personne. Tout redevient prétexte pour se battre, s’entre-tuer.