De toute évidence, la hausse des impôts dans le budget 2014, inévitable après une décennie de baisse, est un fiasco : le gouvernement est revenu sur des hausses décidées par le gouvernement précédent, et qu’il aurait fallu engranger, comme la si nécessaire et trop décriée « TVA sociale ». Il a annoncé une taxe de 75% sur les très hauts revenus qui ne sera plus, en fait, payée par ceux qui les gagnent, mais par les entreprises qui les emploient, pour l’essentielles multinationales, et qui (à de rares exceptions près, tels les clubs de foot), peuvent localiser ces talents sous des cieux fiscalement plus cléments. Il invente des taxes, plutôt censées, comme la taxe sur l’ENE et l’écotaxe, qu’il est incapable d’expliquer, puis il fait marche arrière. Il laisse croire qu’il va spolier l’épargne, alors qu’il n’est question que d’une hausse minime des revenus tirés de l’épargne. Il annonce des impôts rétroactifs, puis, à juste titre, les retire. Il taxe les innovateurs, au-delà de toute raison, puis se ravise, en partie. Mais le mal est fait.

Au total, on en arrive à un « ras le bol fiscal » justement dénoncé par le ministre de l’économie et des finances et à une fiscalité insensée, à la fois par son poids et par son absence de logique, pénalisant les créateurs au profit des rentiers, encourageant les entrepreneurs à partir et les fraudeurs à s’incruster.

S’il est difficile d’imaginer maintenant que cette majorité actuelle osera se lancer dans une grande modernisation fiscale, pourtant si urgente, on peut au moins espérer qu’elle tirera les leçons du fiasco de la réforme des recettes pour mieux préparer celle des dépenses.

Il est évident en effet qu’on ne pourra plus laisser augmenter les déficits et la dette. Parce que, faute de croissance, le ratio dette/PIB, impitoyable juge de paix de la solvabilité d’un pays, augmentera inexorablement. Aussi, faute de réussir à faire plus en matière d’impôt, il est urgent de faire mieux en matière de dépenses.

Or, si l’on emploie pour préparer les économies budgétaires la même méthode, fondée sur un pathétique bricolage, que celle qu’on a employée pour les impôts, on aura les mêmes résultats : on annoncera mille et une coupes ; cela provoquera manifestations et colères ; on reviendra en arrière. On finira par se contenter de bâcler des économies là où c’est le plus facile, même si c’est le moins justifié, c’est-à-dire sur les investissements, et sur le soutien aux entreprises, qui ne votent pas. Et on ne touchera pas aux allocations de toutes natures, déversées sans limites à toutes les collectivités locales et autres groupes de pression, de peur de perdre la moindre de voix aux prochaines élections, pourtant déjà perdues, faute de projet politique crédible.

C’est aujourd’hui le plus probable : aucune économie sérieuse et sensée n’est engagée dans le budget de 2014. Et pire encore, nulle part ne se préparent les économies à faire dans le budget de 2015. Ces économies devraient pourtant être discutées dès maintenant. Elles devraient respecter les critères suivants : éliminer les redondances ; favoriser les plus faibles, les innovateurs, les créateurs ; donner la priorité aux investissements.

Tout cela se prépare. Tout cela a déjà été préparé dans d’innombrables commissions. On sait ce qu’il faut faire. On connaît les arguments pour l’expliquer. On sait à quels groupes de pression il faut s’attaquer et pourquoi il ne faut pas céder. Ne reste plus qu’à mettre en place le processus détaillé d’explication et d’annonce. Et à ne pas céder.

Il est donc urgent, pour le Premier Ministre, d’annoncer qu’il prendra lui-même en charge, en janvier 2014, la préparation de ces reformes ultra politiques, et dont dépend l’avenir du pays.

Si, comme pour les recettes, la majorité improvise au dernier moment quelques économies budgétaires, on verra resurgir de partout les idées les plus stupides, qui provoqueront les protestations de tous les groupes de pression. Et nul ne sera préparé à y répondre. On finira par ne rien faire.

Et les derniers sceptiques finiront par être convaincus que, définitivement, la France n’est pas gouvernée, n’est pas gouvernable.

j@attali.com