Pendant que, à Paris, on se réunissait autour d’un principe de précaution trop souvent obscurantiste, pour discuter surtout de ce qu’il ne faut pas faire pour ne pas nuire à l’environnement, se rassemblait au Havre plus de mille personnes venues du monde entier pour écouter 100 entrepreneurs, syndicalistes, patrons d’ONG, de mutuelles, de syndicats et de grandes entreprises, venus expliquer ce qu’ils font pour l’améliorer. Et pas seulement l’environnement naturel. Mais aussi l’environnement humain.

C’est ce qu’on a appelé « l’économie positive » : celle qui, au-delà de l’emploi de ceux qui y travaillent et du profit de ceux qui y ont investi leur argent, se préoccupe de l’intérêt à long terme du monde. Celle qui considère que toutes nos activités doivent être aussi utiles aux prochaines générations, et qui juge son efficacité à cette aulne-là.

Au Havre, on n’a donc pas seulement élaboré des concepts. On a entendu et vu des initiatives enthousiasmantes, qui montrent que l’économie positive est déjà une réalité planétaire :

Ainsi de l’Indien Bindeshwar Pathak, qui, avec son ONG Sulabh International, a changé la vie de dizaines de millions d’intouchables, en démontrant aux classes moyennes indiennes que leur intérêt économique est de s’équiper de latrines plutôt que de laisser à ces parias la charge de nettoyer leurs excréments, comme ils le font depuis plus de deux mille ans. Et qui réinvestit tous les profits que son ONG dégage de la vente de ces latrines et des revenus des toilettes publiques dans la formation professionnelle de ces intouchables.

Ainsi de l’Anglais Phil Conway qui avec Cool2Care a réussi en Grande-Bretagne à créer une firme financièrement viable pour aider les parents d’enfants handicapés.

Ainsi du Letton Rainer Nolvak qui a réussi à mobiliser des dizaines de milliers de personnes dans son pays et plus encore en Lituanie, en Slovénie et ailleurs pour nettoyer en quelques heures toutes les décharges sauvages du pays.

Ainsi du Français Saïd Hamouche, qui repère des talents dans les quartiers en difficulté, et les place dans les entreprises.

Ainsi de grandes entreprises, pour qui l’objectif n’est plus seulement d’aider ces acteurs de l’économie positive, en les finançant, ni même seulement de ne pas trop nuire à l’environnement, par leurs propres productions, mais de l’améliorer, en replantant des forêts, en remplissant des nappes phréatiques, en réduisant la pauvreté, en formant les jeunes aux métiers d’avenir.

L’économie positive n’est plus une économie marginale. Elle n’est pas non plus une économie subventionnée. Elle crée des emplois, elle dégage des profits et elle est en forte croissance. Elle rassemble entre 5 et 10% du PIB mondial. Elle joue un rôle de stabilisateur dans la crise dans la mesure où elle est fondée sur l’altruisme, et non pas sur l’individualisme, qui est à la racine des maux actuels. Elle est aussi importante que l’était le capitalisme quand, au 12eme siècle, il se développait dans les interstices du féodalisme, jusqu’à le remplacer.

Pour en accélérer l’avènement, il faudra bien des réformes, dans chaque pays et à l’échelle mondiale. De nouvelles règles de droit, de nouveaux statuts d’entreprises, de nouveaux modes de financement et de mesure de son impact sur le bien-être des générations futures.

Magnifique chantier, qui devrait attirer bien des jeunes entrepreneurs, en particulier en France, à un moment où le pays semble manquer de souffle, et l’économie manquer de sens.

@jattali