La crise financière n’a pas fini de nous étonner par ses dimensions paradoxales. Parmi elles, la moindre n’est pas le comportement des banques centrales : elles passent leur temps à réclamer aux gouvernements qu’ils réduisent leurs dettes, tout en faisant tout pour faciliter leur endettement, par des taux d’intérêt trop bas, et tous les mécanismes imaginables.

Au point même que, à première vue, plus les dettes des Etats augmentent, plus leurs charges d’intérêts ne baissent, au moins en apparence.

Ainsi, le service de la dette publique des 27 pays de l’Union Européenne, qui représentait 343Md€ en 2008, ne représente plus à la fin 2009, que 310Md€, bien que la dette de ces pays ait augmenté de près de 20%. Ce service de la dette représentait à cette date 2.6% du PIB de la région et environ 11% des revenus fiscaux. En apparence, très peu, donc.

Et le phénomène s’est accentué dans les derniers mois. Et la hausse des taux longs, elle très significative, (3,8% pour le TBond à 10 ans et 2, 2% pour les sTIPS (treasury inflation protected bonds) a de moins en moins d’impact sur le service de la dette de gouvernements, parce qu’ils empruntent de plus en plus à court terme.

Cela peut satisfaire tout le monde : les gouvernements empruntent facilement, paient peu d’intérêt et ne sont pas tenus de faire des économies ; les contribuables ne sont pas amenés à payer plus d’impôts ; et ceux qui prêtent de l’argent aux Etats voient augmenter la valeur de leurs titres.

On peut comprendre ce comportement : pourquoi réduire sa dette quand on peut emprunter pratiquement gratuitement ? Pourquoi augmenter les taux d’intérêt si le danger n’est pas l’inflation mais la dépression ?

En réalité, c’est extrêmement dangereux.

D’une part, cela ne fait que pousser les Etats à s’endetter d’avantage et à ne régler aucun de leurs problèmes de fond.

D’autre part, ce calcul est trompeur parce qu’il faut y ajouter en réalité la charge sociale, c’est-à-dire les intérêts sur les dettes sociales et les retraites des fonctionnaires qui constituent un véritable service d’une véritable dette publique. Le total du service atteint alors 890Md€ soit 43.0% des revenus ; très au dessus de ce qu’aucune banque commerciale n’accepte dans un prêt à un client particulier. Et qui devient donc extrêmement sensible à l’évolution des taux d’intérêt.

Au total, la baisse des taux fonctionne comme un nœud coulant. Un nœud de soie. Mais un nœud coulant.
Si l’inflation augmente, ou si le risque de faillite d’Etat augmente, les charges d’intérêt pour les Etats augmenteront et créeront les conditions d’une catastrophe immense pour les contribuables et les épargnants. Ce sera la faillite.

Les marchés le savent, qui prévoient déjà une faillite à venir de bien des Etats européens. Sans en tirer encore la conséquence en termes de taux d’intérêt.

La solution serait d’anticiper des taux d’inflation plus élevés et ne de pas conditionner les taux d’intérêts des emprunts d’Etat à autre chose qu’à la soutenabilité de la dette à long terme. On s’apercevrait alors que le cout de la dette est bien plus élevé qu’on ne le croit. Et qu’il est urgent d’hausser les taux.

Mais, comme chacun pense que l’instant présent est plus important que le long terme, et personne ne veut subir la peine du sevrage, naturellement, on n’en fera rien.