Dans aucune démocratie normalement constituée, les hommes politiques feraient de fausses promesses à des salariés employés dans des entreprises sans avenir ; et pourtant, c’est le cas, trop souvent, en France ; en particulier avec Florange, depuis dix ans au moins ; car tous les gens sérieux savent que, dans les régions où il n’y a ni minerai de charbon, ni minerai de fer, ni port, le laminage à chaud de l’acier n’a aucun avenir.

Dans aucune démocratie normalement constituée, on ne verrait les titres des journaux , des radios et des télévision occupés pendant des semaines, voire des mois, par un conflit social portant sur moins de salariés que le pays n’a de nouveaux chômeurs en une demi-journée. Et des salariés qui, pour la plupart d’entre eux, comme c’est le cas à Florange, ne risquent pas le chômage et sont déjà payés, depuis longtemps, pour entretenir un outil de travail dont chacun sait qu’il ne redémarrera jamais.

En réalité, si cela arrive, aujourd’hui, en France, c’est parce que les dirigeants successifs de notre pays commettent la faute tres lourde de prétendre régler des problèmes qui ne sont pas à leur portée. En oubliant de se concentrer et de débattre de ceux qu’ils peuvent régler.

Et ici, l’enjeu politique, médiatique et idéologique, est clair : il n’a plus rien à voir avec le sort des employés d’une aciérie. Il est maintenant devenu celui de savoir si la gauche au pouvoir peut régler un problème que la droite n’a pas su résoudre.

Bien des gens ont intérêt à ce que la réponse soit négative : la droite, bien sûr pour montrer qu’elle n’a pas démérité. La gauche de la gauche aussi, pour montrer que la social-démocratie n’est qu’une pâle et impuissante copie du libéralisme ; l’extrême droite surtout, pour établir que les partis démocratiques sont dépassés. Et aussi tous ceux qui, syndicalistes et commentateurs, y trouvent une occasion, trop rare, d’être dans la lumière.

Il est urgent qu’on sorte de ce piège, où la démocratie n’a rien à gagner. Car, au discours « tous incompétents » succèdera bientôt le « tous des traitres » puis « tous des pourris ».

Ce serait donc l’honneur de la classe politique, gauche et droite politique, de profiter de cette pitoyable histoire pour faire son aggiornamento et expliquer clairement au pays ce que le pouvoir politique peut, et ne peut pas, dans une démocratie moderne :

Il ne peut pas maintenir des emplois dépassés ni des usines non rentables. Il peut, par contre, aider à protéger le niveau de vie des familles perdant ainsi leur revenu, en finançant des formations, des reconversions, de la recherche, des entreprises nouvelles. Il peut faire tout cela. Et il le fait tous les jours.

Il faudrait donc que l’Etat explique ce qu’il peut faire dans une économie ouverte, qui est considérable. Et qu’il mette l’accent sur les milliers d’emplois créés tous les jours par des entreprises, grâce à l’éducation que l’Etat et ses fonctionnaires dispensent, à la recherche qu’il finance, à la santé qu’il assure, à la sécurité qu’il garantit.

Là est son rôle. A la gauche aujourd’hui au pouvoir de montrer qu’elle le remplit mieux, ou au moins différemment, de la droite. Là, et là seulement, devrait être le seul débat démocratique.

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