Les médias de l’ensemble des pays démocratiques  doivent assumer une réalité difficile à dire et que, pourtant, inconsciemment ou consciemment, ils vivent tous les jours : Dans toutes les démocraties, les médias, même et surtout les plus respectables et les plus démocratiques d’entre eux,  ont, à  court terme, intérêt à l’élection des partis populistes, justement parce qu’ils en sont les plus éloignés.

Pour un journal, comme pour tout  autre média, rien n’est plus en effet ennuyeux que d’avoir à soutenir un gouvernement, une politique : personne n’aime lire les compliments et les éloges du pouvoir ; encore moins en écrire. Rien, au contraire,   n’est plus amusant que de critiquer, de combattre, et de penser,  même, qu’on peut, par ses critiques, faire tomber un puissant.  Il en va de même pour les autres médias.  Aussi,   devinent-ils que l’élection d’un populiste leur donnerait un nouveau rôle, fort avantageux,  et ils ne verraient, même s’ils ne se l’avouent pas, que des avantages à  se retrouver dans cette situation.

Ironiquement, en rêvant, inconsciemment,  d’être ainsi, placés seuls,  dans la posture du critique d’un pouvoir populiste, les médias se placent eux-mêmes dans la posture du populiste, qui n’est parvenu au pouvoir qu’en critiquant la totalité des autres pouvoirs.

Ce qui se joue aux Etats-Unis en ce moment doit nous servir d’avertissement.  Ce n’est pas l’excès d’attaques par les médias américains qui a fait élire Trump, c’est au contraire leurs faiblesses et leurs maladresses, plus encore que celles  d’Hillary Clinton.  Aujourd’hui, les médias hostiles au nouveau pouvoir tirent de son élection une  grande audience ; et des revenus plus grands encore: jamais même, depuis l’avènement d’internet, et les menaces qu’il fait peser sur les médias, n’a-t-on vu un tel regain d’intérêt pour ce qu’écrivent les journaux et pour les programmes de télévision.  Et tous ceux qui ont eu le bonheur d’être  récemment désignés par le Président comme les « ennemis du peuple américain »  voient  leurs chiffres d’affaire augmenter massivement, au point qu’ils ne savent plus s’ils rêvent  de réussir à le renverser, par souci démocratique et pour vérifier leur pouvoir,  ou s’ils préfèreraient, au contraire,   ne pas y réussir trop vite, pour exploiter le plus longtemps possible  cette inattendue mine d’or . A  moins qu’ils ne jubilent à l’avance d’imaginer comment  le vice-président Pence, pourrait devenir, une fois Trump renvoyé,  une fort jolie cible ;  lui qui rêve de transformer les  Etats-Unis une théocratie fondamentaliste,

Jeu très dangereux : un jour, un  de ces présidents populistes,  qui aura été une des créatures de ses adversaires, décidera qu’il faut mettre en prison ces « ennemis du peuple » ;  et ce sera la fin de la démocratie américaine. On a connu cela  dans le passé  en Europe. On  connait cela aussi  aujourd’hui dans bien des pays, tels la Turquie. Et cela menace aux Pays-Bas, en Italie, et même en Allemagne.

En France, on pourrait assister,  exactement à la même évolution: Les médias espèreront-ils, comme la presse américaine, se refaire une santé financière en devenant, (après l’installation de Marine Le Pen à l’Elysée et la victoire du Front National, qui s’en suivrait, aux élections législatives,)  la principale  force d’opposition ? Se rendent-ils compte, dès aujourd’hui,  qu’ils  préparent cette situation et font  le jeu du Front National, en ne l’attaquant pas aussi sérieusement qu’ils le pourraient, ne le traitant comme un parti comme les autres ;  en ne décrivant pas le chaos qu’entrainerait son arrivée au pouvoir, en n’analysant pas en détail  l’absurdité de son programme, en ne dénonçant pas autant qu’ils le pourraient les énormes scandales  que constituent  les comportements de  ses dirigeants, en ne critiquant pas leur corruption, leur vol d’argent public, leurs petites combines de toute nature,  en ne  parlant pas assez  de leur malhonnête financière, politique et morale ? Croient-ils sincèrement que ce serait faire le jeu du Front National que d’en faire une cible prioritaire de leurs critiques ?  Préfèreront-ils, dans les semaines qui restent,  ne  dénoncer  que les erreurs et les fautes, aussi coupables soient-elles, des démocrates ?

En  tout cas, en reportant à plus tard  les critiques  raisonnées qu’ils devraient lui adresser  dès aujourd’hui, en  traitant le Front National comme un parti  démocratique et fréquentable, ils   risqueraient d’être considérés par l’Histoire comme ses alliés objectifs.